PRINCIPE DE PLAISIR & PRINCIPE DE REALITE
L’être humain est régi par deux grands principes qui sont le principe de plaisir et le principe de réalité (cf. S.Freud in « Métapsychologie »).
Ces deux principes sont à la fois en concurrence et complémentaires.
André Conte-Sponville explique que le principe de réalité n’est pas le contraire du principe de plaisir. C’est plutôt sa forme lucide et intelligente, qui s’y soumet en tenant compte –dans sa recherche du plaisir et pour l’atteindre- de la réalité.
Il s’agit toujours de jouir le plus possible, de souffrir le moins possible mais en tenant compte des contraintes et des dangers du réel.
Cela nous conduit souvent à différer le plaisir, voire à y renoncer ponctuellement ou à accepter un déplaisir, pour jouir, plus tard, davantage ou plus longtemps.
Ce n’est pas échapper au principe de plaisir, c’est s’y soumettre autrement.
Mais le principe de réalité est justement ce qui nous libère de la dictature du court terme, du tout de suite et maintenant : principe de prudence et d’imagination.
La difficulté d’être, pour reprendre les termes de J. Cocteau, se situe bien souvent dans l’articulation même de ces deux principes.
Comment éviter alors que ne se creuse un trop grand fossé, un si grand fossé qu’il devient ardu de le franchir, comment éviter le clivage ? Comment favoriser la meilleure cohabitation ?
Entre un plaisir fantasmatique, tout-puissant et une réalité faîte de frustrations et d’adaptations, se situe l’être humain dans sa globalité, dans sa complexité, dans sa dualité.
La vie est, elle-même, une suite et une somme d’adaptations, de pertes d’illusions.
Les capacités intellectuelles, cognitives, sont là pour nous aider à parvenir à ces adaptations, comme l’explique J. Piaget dans ses théories sur le développement.
D’un côté, l’être psychique ne veut que le plaisir, id est la suppression des tensions internes, et d’un autre côté, la vie ne peut exister sans tensions (ou pulsions), lesquelles émanent de la réalité et de son lot de frustrations.
L’absence de tension équivaudrait à la non-vie car elle ne crée pas de mouvement, de motion … alors que la vie est justement un perpétuel mouvement, par définition.
La notion de vie est sous-tendue par le désir qui n’existe lui-même que par la perte ou l’absence (on ne désire que ce que l’on a pas, ce qui nous manque).
Le manque crée la vie.
Jacques Hochman explique que lorsque un petit enfant se met à parler, il s’agit là d’une défense maniaque. En effet, pourquoi ferait-il l’effort d’apprendre à parler s’il n’était pas confronter à des insatisfactions liées à des manques ?
Comment l’éducateur peut-il alors être l’interface entre les principes de plaisir et de réalité ?
Comment peut-il faciliter le passage de l’un à l’autre, dans le respect de chacun ?
Winnicott, dans ses écrits (« Jeu et réalité », « La nature humaine ») explique la notion d’espace transitionnel.
Cet espace a pour objet la facilitation du passage.
Il me semble que, grâce à la parole (qui fait sens) et à la contenance suffisamment bonne (qui évite d’être submergé, voire anéanti) l’éducateur peut accompagner l’usager sur le chemin de l’allant-devenant qui s’inscrit peu à peu, un peu plus chaque jour, dans la réalité de la condition humaine … en dépassant « la nausée » telle que la décrit Malraux.
LA NOTION DE FRUSTRATION
La frustration est une privation d’une satisfaction, c’est une espérance déçue, ce qui peut engendrer un sentiment d’être lésé, injustement.
La frustration fait partie de l’existence, elle concerne tout le monde.
Elle peut être causée soit par une absence (nourriture, argent, travail, etc) soit par la présence d’un obstacle interdisant l’accès (mur, agent de police, éducation, etc).
Elle se définit par la signification qu’elle prend dans une situation donnée, pour un individu donné :
- Par exemple, la maladie peut être vécue comme un soulagement pour ceux qui veulent qu’on s’occupe d’eux alors que pour d’autres la maladie représente une entrave.
- Ou encore, une grossesse peut être vécue comme une catastrophe lorsque le désir d’enfant est absent.
Pour savoir s’il s’agit ou non d’une frustration, il faut interroger la personne et/ou observer son comportement face à une situation.
Les réactions à la frustration varient en fonction de l’agent frustrateur et de la personnalité de chacun.
Souvent la réponse est agressive (ce qui permet une décharge ayant pour but la réduction des tensions) et dirigée contre l’obstacle ou son substitut, ou encore elle peut être retournée contre soi (auto-agressivité).
Si l’agressivité est inhibée, on assiste alors à une régression à un stade inférieur, comme cela s’observe, par exemple, chez l’aîné d’une fratrie qui retombe dans l’énurésie à l’arrivée du puiné.
Les frustrations les plus graves sont celles qui touchent à la privation d’un lien à un être cher, aimé, ainsi qu’à l’absence de sécurité.
R. Spitz, dans ses travaux sur l’hospitalisme et les chocs anaclitiques qui en résultent, montre les dégâts provoqués par la privation du lien mère/enfant.
De cela peuvent découler des déséquilibres graves de la personnalité, des psychoses (comme la schizophrénie (selon certains), l’autisme), des maladies psychosomatiques (ulcères, grossesse nerveuse, etc).
La délinquance peut y trouver sa source :
Par exemple, un enfant orphelin, recueilli et adopté très jeune par une famille, et qui se retrouve plusieurs années après déplacé dans une autre famille (pour cause de décès des tuteurs, etc) peut se mettre à voler des objets de valeur (dont il ne tirera d’ailleurs pas de profit matériel) pour punir sa nouvelle famille qui le frustre de ses anciens parents adoptifs.
L’enfant peut se sentir frustré dans son droit d’individu, dans son droit à être aimer.
Selon son intensité, la frustration peut devenir pathogène.
Le sentiment d’avoir été lésé peut entraîner, à l’âge adulte, des conduites dites de quérulences processistes comme on les observe dans certaines formes de paranoïa.
L’éducation consiste non pas à supprimer toutes les frustrations mais à les doser en fonction de la résistance de l’individu.
L’inscription dans la réalité donne la force pour acquérir ce dont on a besoin.
Sans cela, il y a une carence en énergie, comme cela se rencontre chez ceux qui ont peu été confrontés à la réalité.
L’éducateur, ce frustrateur apprend à l’usager à gérer sa frustration, à différer le plaisir (ex : « tu pourras t’amuser quand tu auras fini tes devoirs », et également « tu sera heureux d’obtenir une bonne note »).
Depuis son plus jeune âge, l’individu affronte les frustrations (sevrage, individuation, complexes d’Œdipe et de castration liés aux tabous sociaux et culturels).
Elles participent au détachement et à l’intégration au sein de la communauté des êtres humains, avec ses règles ses interdits (cf. S.Freud in « Totem et tabous »), ses droits et ses devoirs.
La mise en place et l’intégration-intériorisation de la Loi implique des limites.
Qui dit limites dit en même temps qu’il n’y a pas de toute-puissance (la toute-puissance étant une illusion, un leurre, une vaine tentative au service du tout-plaisir) (Cf. « Le mythe de la horde primitive »).
Mais les limites, qui organisent la vie en société de pairs, apportent une sécurité via les repères qu’elles mettent en place, évitant ainsi de se répandre, de se perdre dans un infini angoissant et déstructurant, dé-contenant.
J. Lacan, cet inventeur du Réel a bien distingué le réel (dont on ne sait que faire), l’imaginaire (source de fantasmes) et le symbolique (qui vient faire sens, lien entre réel et irréel).
L’existence est un long processus d’acceptation et d’adaptation à une réalité que l’on n’a pas choisie mais dont on ne peut s’exclure qu’au prix de la folie.
Si l’éducateur lui-même refuse d’être frustré, comment peut-il frustrer l’usager ?
S’il se positionne dans une forme de toute-puissance, de rébellion, quel message, quel exemple, quelle référence offre-t-il, donne-t-il à voir ?
Ce n’est qu’au prix de nos propres expériences (vécues et dépassées, surmontées) de frustration et de limitation que l’on devient crédible et cohérent dans notre fonction d’éducateur.
Je me souviens d’un enfant de 8 ans, placé en foyer, qui me faisait part de sa contestation vis-à-vis des règles et obligations imposées par l’institution. Je lui avais alors expliqué que j’avais au même titre que lui dû me plier (sans céder pour autant – cf. « le chêne et le roseau ») à ces mêmes règles quand j’avais son âge et que, adulte, je devais toujours me conformer à des règles.
Cela avait eu pour effet de l’apaiser car il trouvait injuste que les contraintes ne soient destinées qu’aux enfants.
Je lui avais ensuite expliqué pourquoi l’adulte (cet ancien enfant) -en amont- avec son expérience mettait en place et faisait respecter ces règles garantes de la vie sociale aux plus jeunes –en aval.
Les enfants et les adolescents s’aperçoivent des incohérences (entre les discours et les faits) et des failles des adultes et il est alors difficile d’attendre, d’expecter de leur part de suivre des exigences que nous avons nous-mêmes tant de mal à assimiler … comme s’ils se trouvaient mis en place de réaliser nos propres imperfections.
Sommes toutes, il s’agit de transmettre un mode d’emploi de l’existence … pour autant est-il nécessaire d’avoir préalablement validé personnellement ce dernier.
Ceci me rappelle cette phrase de R. Boringer (in « c’est beau une ville la nuit ») qui disait : « J’ai toujours aimé la vie seulement je n’avais pas le mode d’emploi ».
La fonction éducative est source de frustration dès le début de la vie, à l’instar de la triangulation où le père (ou son substitut) vient faire tiers dans la relation dyadique (et fusionnelle), ce qui a pour effet de permettre au petit d’homme de s’ouvrir à l’Autre.
mardi 1 mai 2007
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